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Gascon extravagant

Lectures croisées du Gascon extravagant

Les Dossiers du Grihl

2007, n° 01

Sous la direction deJean-Pierre Cavaillé, Laurence Giavarini, Cécile Soudan

http://dossiersgrihl.revues.org/325

Actes de la table ronde coordonnée par Laurence Giavarini et Jean-Pierre Cavaillé, en marge du séminaire CRH-Grihl "Secret et tromperie à l'époque moderne", organisée à Paris, à l'EHESS, le 13 juin 2005.

Successivement attribué à Louis Moreau du Bail et à Onésime de Claireville, ce roman comique, paru sans nom d'auteur en 1637, reste très mal connu de la critique(1).

Par un matin de printemps, qui n'est pas sans évoquer d'entrée de jeu La Première Journée de Théophile, le narrateur ne sait où donner de la tête : une jeune femme, « tout éperdue », écume et pousse des « hurlements épouvantables » ; un cavalier ridicule, dans un gascon impeccable, joue le rôle du capitan de comédie et fait mille extravagances ; un vieil « ermite » entreprend d'exorciser la « fille » qu'il déclare possédée, sous les sarcasmes du gascon, qui n'y voit que « fadaises ». Mieux, cet extravagant raisonnable invite le narrateur, tout plein de perplexité, à ne « point [se] laisser persuader par la rhétorique de l'ermite », car, ajoute-t-il, « jamais nous ne devons appuyer de jugement que dans une infaillible connaissance de la chose qu'on propose ».

1637 est l'année de la parution du Discours de la méthode, et sans aucun doute cette phrase pourrait en être tirée. La préface avertit que le livre se propose de « joindre l'utile au délectable ». S'il se nomme Gascon , c'est « pour se moquer de tous ceux qui se mêlent de contrefaire les Gascons ».

Plus, cet extravagant est en fait « philosophe moral », et l'auteur a voulu lui donner « avantage de parler librement de tout, pour ce qu'on dit que tout est permis aux fous » : « L'homme le plus arrogant, renchérit un poème liminaire,/ Confesse franchement qu'en matière de feintes/ Il est sage parfait qui fait l'extravagant ».

Même si, à plusieurs reprises, le narrateur fait lui-même semblant de se rendre aux raisons de l'ermite, qui prêche régulièrement contre le « libertinage » de ce vrai faux extravagant, la « franchise » ou « liberté » de parole est dans ce texte, proprement programmatique. Elle touche d'abord, par la bouche du gascon, à cette question brûlante de religion, qui court tout au long du livre : la croyance en la possession, aux visions, aux exorcismes… en ces années où le bûcher d'Urbain Grandier fume encore. Mais elle investit tout autant, au fil de la narration de ses « aventures » par le gascon, l'ensemble du monde social que permet de traverser la fiction picaresque de l'escroc positif : jeunes bourgeois fats et prétentieux, prévôts, sergents et gardiens de prison corrompus, curés entremetteur ou pouilleux, un fermier général inique et son sous-fermier qui ne vaut guère mieux… la liberté satirique règle à chacun son compte, avec amusement mais sans méchanceté, et l'une des particularités du récit est du reste le renversement toujours possible du jugement éthique, son instabilité ; ainsi, lorsque un exemple de perfidie féminine consommée se retourne tout à coup en une apologie inconditionnelle des femmes. C'est d'une manière similaire que sont renversés les préjugés convenus sur les protestants ou sur les gascons, rétablis dans leur dignité bafouée…

Ce jeu critique sur la doxa , associé à la satire morale, est inséparable d'un travail sur les registres de langues et les genres du discours, exploités et parodiés, tournés en ridicule, mais aussi susceptibles d'être utilisés par le personnage du gascon pour faire montre de son savoir et de son bel esprit : poésie amoureuse, nouvelle galante, parler Phoebus, galimatias scolastique, rodomontades gasconnes, entretien pointu, etc.

Il y aussi le prêche apologétique du curé, la vision allégorique de la possédée, le latin de cuisine du prêtre crotté, etc. De sorte que le texte paraît composé pour une part importante de pièces rapportées qui forment un ensemble linguistique délibérément hétérogène, pluriel et chamarré… La liberté de parole et le jeu avec les registres de langue dessinent en filigrane une esthétique de la satire (aux deux sens de la critique des mœurs et de la pluralité des styles et des objets) et une éthique de la « franchise » (qui n'exclue certes pas feinte et dissimulation), autorisée par l' « extravagance », où se retrouve l'essentiel de la tradition du roman comique depuis le Francion . Ces deux niveaux - l'esthétique et l'éthique de « l'extravagance » (feinte) - méritent d'être pris en compte simultanément, car il existe sans aucun doute un lien fort entre la satire des mœurs (on ne peut moins rigoriste) et la critique rationaliste des croyances superstitieuses, la saturation parodique des styles de discours et la description foisonnante de certains aspects de la civilisation matérielle (vêtements, intérieur d'une prison, etc.).  

C'est en fait cette hypothèse de « l'extravagance », comme moteur « comique » et « satirique » permettant le développement cohérent de ces dimensions apparemment hétérogènes du texte que nous souhaitons mettre à l'épreuve de la discussion à l'occasion de cette table ronde, et que nous proposons plus particulièrement à l'attention des intervenants. D'où les trois perspectives de travail suivantes, qui doivent être comprises comme des sollicitations et peuvent chacune donner lieu à deux interventions conçues de manière complémentaire ou contradictoire, par « binôme » - de manière à organiser trois moments de discussion :

•  le ou les rapports que l'on peut établir entre satire (critique) et satura (compilation de formes et de styles).

•  l'articulation monde social / monde moral envisagée à partir des questions d'énonciation et de point de vue.

•  le jeu des feintes, superstitions, fictions - tout ce qui mobilise le discours de la croyance.

Les interventions ne devront pas « extravaguer » au-delà de 20 à 30 mn, pour laisser le plus de place possible à la discussion.  

Intervenants  : Amélie Blanckaert, Guy Catusse,  Jean-Pierre Cavaillé,  Filippo D'Angelo,  Laurence Giavarini, Sophie Houdard et Michèle Rossellini 

 

(1) On trouvera une bibliographie dans l'unique édition moderne établie par Felicita Robello, Pubblicazioni dell'Istituto di Lingue e letterature straniere moderne, Università di Genova, Piovan editore, Albano Terme, 1984, p. 10-11. Cette édition servira de base à nos discussions.  

Mise à jour : 25 avril 2005    


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