Composition du groupe |
Participants aux travaux du Grihl
Thibault DEBAIL
Coordonnées professionnelles
Chercheur rattaché au CRH/EHESS
Membre du comité d'édition de l'Enccre (Édition Numérique Collaborative et CRitique de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, Académie des Sciences, Paris)
La fenêtre encyclopédique
Produire des savoirs de référence sur le sommeil
à travers les encyclopédies européennes des Lumières (1700-1780)
Thèse préparée sous la direction de Dinah Ribard et soutenue à l’EHESS le 24 novembre 2022. Le jury était composé de Jean-Luc Chappey (Sorbonne-Université), Emmanuelle Chapron (Aix-Marseille-Université), Roger Chartier (Collège de France), Rafael Mandressi (CNRS, Centre Alexandre Koyré), Dinah Ribard (EHESS, Centre de Recherches historiques) et Silvia Sebastiani (EHESS, Centre de Recherches historiques).
Ouvrage en préparation pour la collection Oxford University Studies in the Enlightenment.
Résumé :
Le siècle des Lumières a été celui des encyclopédies, dont une édition paraissait tous les deux ans environ. Publiés sous le nom de dictionnaire universel ou d’encyclopédie, ces recueils se substituent à d’autres livres dont ils abrègent les connaissances au format de l’article. Promettant au lecteur d’accéder à un savoir universel, ils ont rencontré un vif succès. La fenêtre encyclopédique étudie cette promesse en abordant ces livres comme des lieux de transformation du savoir. À travers une comparaison des pratiques de rédaction dans une quinzaine d’encyclopédies européennes en quatre langues publiées au cours de la période 1700-1770, rééditions comprises, cette thèse analyse les rapports de l’imprimé au savoir et à l’innovation intellectuelle autour du cas des définitions du sommeil. Celles-ci ont cristallisé de nombreux enjeux savants à la fois médicaux et philosophiques qui justifient l’étude du sommeil comme objet à définir. Une théorie médicale abrégée au format de l’article devenait-elle accessible à un nouveau public, au-delà des spécialistes ? Le savoir proposé comme référence au lecteur était-il actuel au regard des connaissances disponibles ? Croisant les approches de l’histoire du livre, des sciences et de la médecine, l’étude comparée de ce savoir en modification prend l’article consacré au sommeil et les textes liminaires des encyclopédies comme laboratoires d’analyse des conditions matérielles de la production du savoir. Celle-ci est aussi éclairée à partir d’autres textes, dictionnaires de langue, recueils de proverbes, dictionnaires et traités médicaux, périodiques et correspondances.
La première partie situe l’encyclopédie dans l’univers des livres de référence qui, comme elle, sont fondés sur la compilation et autorisent une lecture discontinue par consultation. Comment l’encyclopédie s’est-elle individualisée comme genre éditorial autonome en Angleterre et sur le continent ? Concise, elle sélectionne certaines formes de savoir et n’offre jamais un état des connaissances médicales sur le sommeil, seulement des bribes d’une ou de deux théories de préférence à d’autres qui sont tues. La deuxième partie interroge les modalités du travail de rédaction et montre qu’au cours de la période l’emprunt par couper-coller se généralise : le recopiage de sources faciles à compiler permettant de travailler vite remplace la réécriture, accélérant la rédaction. La publication de ces recueils met en tension la double nature de la compilation, à la fois technique savante de travail sur les textes et production d’une marchandise imprimée. Il en résulte l’élaboration européenne d’une législation pénalisant l’emprunt par extrait au cours du premier tiers du XVIIIe siècle. Vouant la compilation à l’illégalité, elle rend le livre encyclopédique paradoxal : partout sauf en Angleterre, l’encyclopédie devient une contrefaçon autorisée à la vente. Face au privilège de librairie ou, en Angleterre, à la crainte de litiges, les encyclopédistes élaborent un contre-discours justifiant l’extrait comme une pratique d’auteur bien que dans leurs articles, des ciseaux de plus en plus grands remplacent la plume.
La troisième partie examine ce que ces pratiques de compilation font au savoir. Contre l’idée selon laquelle l’écriture encyclopédique traduirait les connaissances dans une langue ordinaire, notre étude des articles consacrés au sommeil montre qu’elle ne rend pas ces connaissances accessibles et les appauvrit. Mal expliquée, l’approche médicale du sommeil reste à dominante mécaniste, fondée sur la notion d’esprits animaux. Le savoir encyclopédique était-il actuel ? Cette thèse conteste qu’il ait été dépassé en raison des progrès des connaissances intervenus entre les moments de la rédaction et de la publication. Elle fait plutôt valoir qu’il était presque toujours désuet dès l’enregistrement des sources faute de livres actuels. En ce sens, l’encyclopédie témoigne moins des savoirs d’une époque que de la difficulté relative, pour les compilateurs, d’y accéder. Publier l’innovation scientifique au XVIIIe siècle a d’abord été une question de ressources matérielles.
Au total, la lecture rapprochée des articles encyclopédiques et des textes liminaires met en valeur l’intérêt, pour l’histoire des sciences et des savoirs et pour celles de la médecine et du livre, d’étudier la production du savoir dans sa matérialité. En dépassant le binôme historiographique Cyclopædia-Encyclopédie de Paris vers une comparaison pan-européenne, La fenêtre encyclopédique rend visible que l’encyclopédisme des Lumières a été un processus d’inter-lectures et d’inter-écritures multiples à l’échelle de l’Europe.
Mots clés : Encyclopédisme ; Lumières ; compilation ; sommeil ; innovation intellectuelle, histoire du livre ; histoire des sciences et des savoirs ; histoire de la médecine
Abstract
The Encyclopedic Window
Producing Knowledge on Sleep in European Encyclopedias of the Enlightenment (1700-1780)
The Enlightenment was the century of encyclopedias. Every two years or so, one of these collections would be published in Europe. Initially called ‘universal dictionary’, they served as a substitute for books whose knowledge they abridged in the format of an article. They promised universal knowledge and were received enthusiastically by the learned European public. The Encyclopedic Window examines this promise by studying the production of about fifteen encyclopedias published in four different languages between the 1700’s and 1770’s, including their republications. At the intersection of the history of knowledge, medicine and of the book, it investigates the relations between printed material and scientific innovation through a focus on the notion of ‘sleep’. At the time, sleep engaged a number of fundamental medical and philosophical questions. Does abridgment make a medical theory accessible to nonspecialist readers? Was the encyclopedic knowledge up to date? This comparative study takes a set of articles connected to the notion of sleep and the opening texts of each encyclopedia as a laboratory to analyse the production of books in the 18th century. It aims at rendering visible the materiality of the work carried out by the compilers. It also studies this work in comparison with other texts of the time, such as dictionaries, collections of proverbs, medical treatises and dictionaries, journals and letters.
Part one explores the encyclopedia by situating it among other reference genres, i.e., books that are produced by compilation and allow consultation reading. How did the encyclopedia become an autonomous reference genre both in England and in continental Europe? Encyclopedias pretend to provide state of the art medical knowledge. Do they live up to their promise? This thesis shows that they select one or two theories and silence the others.
Part two examines how articles are produced by way of compilation. The practice of ‘cut and paste’ generalises throughout the period, copying replaces rewriting, and the process of compilation accelerates. Articles are produced swiftly using ready-made sources, including other encyclopedias. The publication of these books puts into tension the two faces of compilation: a scholarly technique of modifying texts and a way of producing a printed merchandise. This tension elicits a European legislation prohibiting the practice of extract. The law is in place by 1731 on the continent, making encyclopedism fraudulent copying. A paradox then weighs on the encyclopedic book: although compiling books is prohibited everywhere except in England, the law authorises the publication of encyclopedias. In this context, how do the encyclopedists justify the practice of extract? They develop a counter-speech assimilating the extract to an author’s work.
Part three engages with the impact of compilation on knowledge. Our study of articles related to sleep shows that encyclopedic writing impoverishes it and maintains it technical. Mechanist theories using the galenic notion of animal spirits prevail. Furthermore, this thesis challenges the idea that encyclopedic knowledge was obsolete due to the rapid progress of science; rather, it demonstrates that it was out of date right from the time of the compilation of the article. Encyclopedias therefore only replace the books that were available to compilers, not the most recent ones. To the reader of the 21st century, they do not provide access to the knowledge of the period but rather reveal the challenge to access knowledge through books in that period.
Closely investigating the production of articles in several encyclopedias, this thesis underlines the importance of studying the materiality of knowledge in the history of science, medicine and of the book. It also points to the great value of departing from the historiographical focus on Chambers’ Cyclopædia and Diderot’s Encyclopédie. Engaging in a pan-European comparison of 18th century encyclopedias, this thesis argues that encyclopedism during the Enlightenment was a European-scale process of cross-reading and cross-writing.
Keywords : Encyclopedism; Enlightenment; compilation; sleep; intellectual innovation; history of the book; history of sciences and knowledge; history of medicine.
Manuscript being prepared for the “Oxford University Studies in the Enlightenment” series.
Domaines de recherche :
- Encyclopédisme européen des Lumières
- Théories médicales sur le sommeil et le rêve au XVIIIè siècle
- Livre, extrait, compilation suivant une perspective transnationale
Participation à des colloques et communications
- « Façons de lire, manière d’écrire. Le sommeil selon Chambers (1728) », Séminaire de recherche en Histoire moderne, Unil, Lausanne, 2 octobre 2023.
- « Une exception encyclopédique ? Compilation, privilèges et circulation des savoirs (Angleterre et continent, 1721-1751) », Cinquième colloque du CIREM 16-18, « Projets encyclopédiques et circulation des savoirs, 1500-1750 », Université du Québec à Montréal, Montréal, 26-28 octobre 2022.
- « L’article 'SOMMEIL (Physiolog.)' de Louis de Jaucourt (1765) », Séminaire de l'ENCCRE, Paris, 11 mars 2022.
- « L’encyclopédisme européen au risque de la contrefaçon : compiler au XVIIIe siècle », Séminaire du Grihl/EHESS, Paris, 6 avril 2021.
- « L’article 'SOMMEIL' de Pierre Leroux (1842) », Seminaire Encyclopédie nouvelle, Oxford Talks (Maison Française d’Oxford)/Laboratoire Triangle (UMR 5206), Lyon, 3 mai 2019.
- « Der Schlaf zwischen Wörterbüchern und Enzyklopädien in Europa 1650-1780 », Séminaire de recherche en histoire moderne (Kolloquium Frühe Neuzeit), Université Justus-Liebig, Giessen, 28 mai 2018.
- Table ronde organisée par Gisèle Sapiro et Dinah Ribard en présence de Dorothea von Mücke (Columbia University), auteure de The Practices of Enlightenment. Aesthetics, Authorship, and the Public, (New York, Columbia University Press, 2015). Discutant du livre, 22 juin 2017.
Participation à des séminaires
· Membre du Grihl depuis 2012 et de l’équipe ENCCRE (Edition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie), Académie des Sciences, Paris.
· Séminaire « Historiographie des Lumières » dirigé par Antoine Lilti et Thomas Maissen, Institut historique allemand, Paris, 2016-2018.
Travaux en cours
- Annotation et édition des articles "SOMMEIL (Physiologie)" et "SOMMEIL (Mythologie)" du Chevalier de Jaucourt, et "SOMNAMBULISME (Médecine)" de Jean Joseph Ménuret de Chambaud, projet ENCCRE, à paraître.
- « Une exception encyclopédique ? Compilation, privilèges et circulation des savoirs (Angleterre et continent, 1721-1751) », à paraître en 2023 aux Presses universitaires de Laval.
Dernière mise à jour : 02 novembre 2023
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