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Séminaire de Jean-Pierre Cavaillé (2001-2013)

2011-2012 : "Les limites de l'acceptable"

Le séminaire a continué cette année à explorer la question du déplacement des limites de l'acceptable et de l'inacceptable, envisagée comme méthode d'analyse alternative à l'explication traditionnelle des modifications des pratiques censoriales et prohibitives, institutionnelles ou non, par l'évolution et les transformations des mentalités.

Nous avons d'abord concentré notre attention sur un cas d'actualité, constitué par les manifestations de militants de groupes dits « intégristes » en France, à la fin de l'année 2011, visant à dénoncer le caractère blasphématoire et sacrilège de deux pièces de théâtre contemporaines : Sur le concept du visage du fils de Dieu (Romeo Castellucci) et Golgota Picnic (Rodrigo García). En effets ces actions furent elles-mêmes jugées inacceptables par de nombreux acteurs sociaux. Nous étions ainsi confrontés à un conflit d'acceptabilité et il était intéressant d'étudier les efforts consentis simultanément par les deux partis pour démontrer l'acceptabilité de leurs positions respectives, à travers les concepts de blasphème et de sacrilège, mais aussi de christianophobie et de cathophobie de la part des intégristes et, de la part des contre-manifestants et des professionnels du théâtre attaqués, à côté de la réaffirmation de la liberté d'expression, l'affirmation du caractère éminemment spirituel, voire chrétien des spectacles incriminés. Le conflit d'acceptabilité entraînait ainsi, de part et d'autre, des tensions, voire des contradictions internes, à la fois couvertes et révélées par l'équivocité de certains énoncés et slogans, interprétables comme double discours, ou discours duplice, dicté par la nécessité d'apporter des réponses socialement acceptables, tout en demeurant en accord avec un discours premier difficilement audible : celui de la « royauté sociale du Christ » et du « devoir d'intolérance doctrinale » chez les « intégristes », ou celui de l'irréductibilité de l'art à toute pression religieuse et politique chez les défenseurs des pièces. C'est cette dialectique de l'équivocité, ambivalence, duplicité des discours publics des groupes en conflit qui conduit à un déplacement continu des limites de l'acceptable. Dans le cas étudié, ce déplacement nous a semblé largement se jouer en faveur de l'imposition du nouveau concept de christianophobie caqué sur ceux, déjà reçus de « judéophobie », d' « islamophobie » et d'« homophobie », et de fait même foncièrement recevable par l'opinion publique.

A la lumière de ce cas très abondamment informé et qui permettait surtout l'expérience d'une immersion sociale, nous avons ensuite examiné des cas de censure livresque et de publication clandestine au début de l'époque moderne, pour lesquels, comparativement, la documentation disponible est des plus réduites. Ainsi, avons-nous étudié les controverses autour de la publication de la deuxième édition de La Sagesse de Charron, imposé en France comme « livre d'État », bénéficiant d'une multitude de rééditions, et pourtant durablement accusé de convoyer des propositions et des idées inacceptables dans les rangs des partisans d'une censure ultramontaine de la philosophie. Nous avons ensuite envisagé le cas fourni par les vers et la figure du poète Jacques Vallée Desbarreaux. L'homme, réputé scandaleux, bénéficiait pourtant de protections et surtout d'une acceptabilité « restreinte » dans le milieu curial auquel il appartenait.

La réflexion collective fut, en outre, nourrie par les interventions de Federico Barbierato sur le Blasphème et l'athéisme dans la pratique judiciaire de l'Inquisition romaine au XVIIe siècle ; de Mathilde Bernard concernant le refus de « parler chrétien » dans La Farce de Maistre Pathelin , Pantagruel et le Cymbalum mundi ; de Nicole Gengoux sur l'inacceptabilité de l'athéisme chez l'auteur du Theophrastus Redividus et chez Spinoza ; de Lucien Grisoni sur l'inacceptable dans la Prose Chagrine de François La Mothe Le Vayer et d'Antonella Romano sur les conflits autour de la présence des Jésuites en Chine au XVIIe siècle en relation avec leur écriture de l'histoire de la Chine contemporaine (prise du pouvoir par les Mandchous).


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