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Séminaire de Judith Lyon-Caen "Les usages sociaux de la littérature, XIXe-XXe siècles"

2013-1014 : Usages de la littérature, XIXe-XXe siècles

1er, 3e et 5e vendredis du mois de 11 h à 13 h (salle 11, 105 bd Raspail 75006 Paris), du 15 novembre 2013 au 6 juin 2014

Nourri par les travaux des années précédentes sur les usages politiques et sociaux de la littérature au XIXe siècle, le séminaire explore désormais les liens entre l’expérience historique et la production d’écrits conçus, reçus comme « littéraires » au XIXe et au XXe siècle dans l’espace européen. La réflexion sur l’histoire des relations entre littérature et sciences sociales reste une constante, nourrie par l’actualité des publications. Les questions de méthodologie, relatives à la mobilisation des « sources », « documents » ou « ressources » littéraires par l’histoire et les sciences sociales, sont constamment reliées à l’histoire des usages de la littérature – cette histoire qui articule une étude des formes d’action par l’écriture littéraire et des recherches sur les lectures, les appropriations ainsi que la production de savoirs sur les textes littéraires depuis les premières décennies du XIXe siècle.

Ce que j’essaye de saisir, ce faisant, ce sont des modes – historiquement situés -– de croyanc (et de production de la croyance) dans la puissance de vérité, de description, de figuration, de représentation, d’engagement, des textes reconnus comme « littéraires ».

L’enquête sur la sixième Diabolique de Jules Barbey d’Aurevilly, La Vengeance d’une femme (1874) relève de ce souci de comprendre la figuration et la transmission d’une expérience historique dans une écriture « littéraire » - conçue, publiée, reçue et transmise comme telle. En menant une contextualisation extensive de ce court texte de fiction,  qui fait appel au rêve, au souvenir et à une dense intertextualité littéraire, en forçant ce texte à la contextualisation – quand tout y résiste – je tente de saisir ce qu’il en est de la formulation d’une expérience sociale – une expérience parisienne et érotique au milieu du XIXe siècle – dans la littérature ; je tente de comprendre le recours à la littérature comme langage et comme forme de l’expérience dans les années centrales du XIXe siècle. Je rejoins alors, à partir d’un texte canonique, ce que j’ai pu analyser auparavant dans les courriers de lecteurs adressés à Balzac ou à Eugène Sue : une pratique de la littérature, une croyance dans la vérité de la littérature comme lieu d’élucidation et de figuration de l’expérience historique, indissociablement singulière et sociale, des individus. On retrouve dans cette recherche des questions « classiques » d’histoire sociale, comme celle de l’importance problématique des sources littéraires dans l’histoire de la prostitution ou de la sexualité au XIXe siècle. On les retrouve, en prenant la littérature non plus comme une source sur, bonne ou mauvaise, sur les pratiques sexuelles ou l’imaginaire érotique, ou comme le réceptacle d’un savoir spécifique sur l’intime, mais comme le lieu spécifique de la formulation et de la publication de l’expérience

Le travail sur Barbey a donné lieu à interventions en colloque ou en séminaire (à Paris IV et à Rome en 2013, au colloque « Transitions » de Paris III en juin 2014)

L’enquête engagée depuis plusieurs années sur la politique de la littérature au XIXe siècle a conduit cette année à l’ouverture d’un nouveau dossier de recherches sur la « socio-politique des ruines romantiques », autour de Charles Nodier et des Voyages pittoresques à travers la France. Ce travail a donné lieu à plusieurs séances de séminaire, ainsi qu’à une présentation dans le cadre du séminaire du GRIHL, et s’est articulé à une recherche sur les usages politiques de la littérature et la restauration de Notre-Dame au XIXe siècle (pour le colloque « L’Hotel de Ville et la cathédrale Notre Dame dans l’histoire parisienne », Paris, novembre 2013). Dans les deux cas, il s’agissait de montrer que la littérature n’avait pas eu seulement pour fonction de « représenter » ruines et monuments, mais que le recours à la littérature, à la publication littéraire, avaient eu, autour de Nodier, Hugo ou Viollet-le-Duc, une importance cruciale dans la politique des ruines sous la Restauration, puis dans les batailles esthético-politiques autour de la restauration/restitution de Notre-Dame sous la monarchie de Juillet.

La question de l’engagement politique de la littérature au XIXe siècle est revenue dans le cadre d’une réflexion plus générale sur l’investissement démocratique du roman, autour d’Eugène Sue et de 1848 (en séminaire et dans le cadre du colloque « Democracy and the Novel » à Princeton en mai 2014), ou de Michel Zevaco (travail en cours de Mlle Luce Roudier).

De Nodier à Barbey d’Aurevilly en passant par Sue, ce que l’on croise, constamment, ce n’est pas la littérature comme « savoir » utile à l’historien, mais bien des recours, historiquement situés, à l’écrit littéraire dont le lecteur historien d’aujourd’hui éprouve, en les contextualisant, la puissance historiographique. Un tel propos a traversé les séminaires sur Barbey d’Aurevilly, il était également au cœur des propositions que Christian Jouhaud est venu exposer en avril dans un séminaire intitulé « Dépayser les écrits du passé ? XVIIe-XXe siècle », ainsi que dans le travail que nous avons mené ensemble sur le livre de Ruth Klüger, Refus de témoigner, dans le cadre du séminaire du GRIHL « Voir le passé ». A cette occasion j’ai également présenté un travail sur le livre récemment traduit d’Otto Dov Kulka, Paysages de la métropole de la mort.

La question de la qualification et de la valorisation historiographique et/ou testimoniale de la littérature au XXe siècle est ainsi revenue dans la dernière partie de l’année : d’une part, avec l’achèvement du programme ANR « Dos Poylishe Yidntum » (POLY), j’ai animé avec Judith Lindenberg en mai un séminaire intitulé « Ecrire dans la catastrophe » ; j’ai d’autre part présenté l’état d’avancement de mes recherches sur Michel Borwicz et la « littérature au camp », comme pratique et objet de savoir dans le temps même des camps d’extermination et dans les lendemains immédiats de la Deuxième guerre mondiale. J’ai enfin co-organisé en juin 2014 un colloque international au Musée d’art et d’histoire du judaïsme sur les « Ecritures de la destruction dans le monde judéo-polonais de la fin de la Deuxième guerre mondiale à la fin des années soixante. Productions, trajectoires, réseaux ». Pawel Rodak, professeur à l’université de Varsovie, est venu en mars, dans le cadre des échanges Erasmus, présenter ses recherches sur l’importance de la prise en compte de la matérialité de l’écrit dans l’analyse de certains journaux tenus pendant la Deuxième guerre mondiale, dans les camps, les ghettos ou la clandestinité, en Pologne.

 

Publications depuis octobre 2013

« Histoire et littérature », in Christophe Granger (dir.), A quoi pensent les historiens?, Paris, Autrement, 2013, p. 63-78.

« Écriture et expérience de l’effacement. Le présent vide de Jules Barbey d’Aurevilly » Écrire l’histoire, n° 12 – automne 2013, p. 47-56.

« Avec ou sans accessoires. A propos d’un repentir aurevillien », avec Boris Lyon-Caen, Penser/Rêver. Revue de psychanalyse, L’intime et son spectacle, n° 25, 2014.

« Le fait littéraire est un fait de l’histoire », questions aux membres du Groupe de Recherches Interdisciplinaire sur l’Histoire du Littéraire, et réponses, avec Catherine Coquio, Christian Jouhaud, et Dinah Ribard dans Littérature et histoire en débat – actes du colloque de janvier 2013, en ligne : http://www.fabula.org/colloques/document2112.php et http://www.fabula.org/colloques/sommaire2076.php

« “Littérature au camp” et histoire des savoirs sur le témoignage. Autour des Écrits de condamnés à mort sous l’occupation nazie de Michel Borwicz (1953) », dans Contextes, Bibliothèque du Centre de recherches historiques, 2014, p. 296-311.

« Se souvenir de la mort. A propos de Otto Dov Kulka, Paysages de la métropole de la mort, traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Albin Michel, 2013 », La Vie des idées, février 2014, http://www.laviedesidees.fr/Se-souvenir-de-la-mort.html.

« Interpréter l’histoire : témoignage historique/création et interprétation », avec Catherine Coquio et Annette Wieviorka, dans Charlotte Delbo. Œuvre et engagement, sous la direction de Christiane Page, PUR, 2014, p. 217-222.


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